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Chapitre XXXIV. Un homme d’esprit



 

Le préfet cheminant sur son cheval se disait : Pourquoi ne serais-je pas ministre, président du conseil, duc? Voici comment je ferai la guerre… Par ce moyen je jetterais les novateurs dans les fers…

 

LE GLOBE

 

Aucun argument ne vaut pour détruire l’empire de dix années de rêveries agréables. Le marquis ne trouvait pas raisonnable de se fâcher, mais ne pouvait se résoudre à pardonner. Si ce Julien pouvait mourir par accident, se disait-il quelquefois… C’est ainsi que cette imagination attristée trouvait quelque soulagement à poursuivre les chimères les plus absurdes. Elles paralysaient l’influence des sages raisonnements de l’abbé Pirard. Un mois se passa ainsi sans que la négociation fît un pas.

 

Dans cette affaire de famille, comme dans celles de la politique, le marquis avait des aperçus brillants dont il s’enthousiasmait pendant trois jours. Alors un plan de conduite ne lui plaisait pas parce qu’il était étayé par de bons raisonnements ; mais les raisonnements ne trouvaient grâce à ses yeux qu’autant qu’ils appuyaient son plan favori. Pendant trois jours il travaillait avec toute l’ardeur et l’enthousiasme d’un poète à amener les choses à une certaine position ; le lendemain il n’y songeait plus.

 

D’abord Julien fut déconcerté des lenteurs du marquis ; mais, après quelques semaines, il commença à deviner que M. de La Mole n’avait, dans cette affaire, aucun plan arrêté.

 

Mme de La Mole et toute la maison croyaient que Julien voyageait en province pour l’administration des terres ; il était caché au presbytère de l’abbé Pirard, et voyait Mathilde presque tous les jours ; elle, chaque matin, allait passer une heure avec son père, mais quelquefois ils étaient des semaines entières sans parler de l’affaire qui occupait toutes leurs pensées.

 

– Je ne veux pas savoir où est cet homme, lui dit un jour le marquis ; envoyez-lui cette lettre. Mathilde lut :

 

« Les terres de Languedoc rendent 20.600 francs. Je donne 10.600 francs à ma fille, et 10.000 francs à M. Julien Sorel. Je donne les terres mêmes, bien entendu. Dites au notaire de dresser deux actes de donation séparés et de me les apporter demain ; après quoi, plus de relations entre nous. Ah ! Monsieur, devais-je m’attendre à tout ceci?

 

Le marquis de La Mole. »

 

– Je vous remercie beaucoup, dit Mathilde gaiement. Nous allons nous fixer au château d’Aiguillon, entre Agen et Marmande. On dit que c’est un pays aussi beau que l’Italie.

 

Cette donation surprit extrêmement Julien. Il n’était plus l’homme sévère et froid que nous avons connu. La destinée de son fils absorbait d’avance toutes ses pensées. Cette fortune imprévue et assez considérable pour un homme si pauvre en fit un ambitieux. Il se voyait, à sa femme ou à lui, 36.000 livres de rente. Pour Mathilde, tous ses sentiments étaient absorbés dans son adoration pour son mari, car c’est ainsi que son orgueil appelait toujours Julien. Sa grande, son unique ambition, était de faire reconnaître son mariage. Elle passait sa vie à s’exagérer la haute prudence qu’elle avait montrée en liant son sort à celui d’un homme supérieur. Le mérite personnel était à la mode dans sa tête.

 

L’absence presque continue, la multiplicité des affaires, le peu de temps que l’on avait pour parler d’amour vinrent compléter le bon effet de la sage politique autrefois inventée par Julien.

 

Mathilde finit par s’impatienter de voir si peu l’homme qu’elle était parvenue à aimer réellement.

 

Dans un moment d’humeur elle écrivit à son père, et commença sa lettre comme Othello :

 

« Que j’aie préféré Julien aux agréments que la société offrait à la fille de M. le Marquis de La Mole, mon choix le prouve assez. Ces plaisirs de considération et de petite vanité sont nuls pour moi. Voici bientôt six semaines que je vis séparée de mon mari. C’est assez pour vous témoigner mon respect. Avant jeudi prochain, je quitterai la maison paternelle. Vos bienfaits nous ont enrichis. Personne ne connaît mon secret que le respectable abbé Pirard. J’irai chez lui ; il nous mariera, et une heure après la cérémonie nous serons en route pour le Languedoc, et ne reparaîtrons jamais à Paris que d’après vos ordres. Mais ce qui me perce le cœur, c’est que tout ceci va faire anecdote piquante contre moi, contre vous. Les épigrammes d’un public sot ne peuvent-elles pas obliger notre excellent Norbert à chercher querelle à Julien? Dans cette circonstance, je le connais, je n’aurais aucune empire sur lui. Nous trouverions dans son âme du plébéien révolté. Je vous en conjure à genoux, ô mon père ! Venez assister à mon mariage, dans l’église de M. Pirard, jeudi prochain. Le piquant de l’anecdote maligne sera adouci, et la vie de votre fils unique, celle de mon mari seront assurées », etc., etc.

 

L’âme du marquis fut jetée par cette lettre dans un étrange embarras. Il fallait donc à la fin prendre un parti. Toutes les petites habitudes, tous les amis vulgaires avaient perdu leur influence.

 

Dans cette étrange circonstance, les grands traits du caractère, imprimés par les événements de la jeunesse, reprirent tout leur empire. Les malheurs de l’émigration en avaient fait un homme à imagination. Après avoir joui pendant deux ans d’une fortune immense et de toutes les distinctions de la cour, 1790 l’avait jeté dans les affreuses misères de l’émigration. Cette dure école avait changé une âme de vingt-deux ans. Au fond, il était campé au milieu de ses richesses actuelles, plus qu’il n’en était dominé. Mais cette même imagination qui avait préservé son âme de la gangrène de l’or, l’avait jeté en proie à une folle passion pour voir sa fille décorée d’un beau titre.

 

Pendant les six semaines qui venaient de s’écouler, tantôt, poussé par un caprice, le marquis avait voulu enrichir Julien ; la pauvreté lui semblait ignoble, déshonorante pour lui M. de La Mole, impossible chez l’époux de sa fille ; il jetait l’argent. Le lendemain, son imagination prenant un autre cours, il lui semblait que Julien allait entendre le langage muet de cette générosité d’argent, changer de nom, s’exiler en Amérique, écrire à Mathilde qu’il était mort pour elle. M. de La Mole supposait cette lettre écrite, il suivait son effet sur le caractère de sa fille…

 

Le jour où il fut tiré de ces songes si jeunes par la lettre réelle de Mathilde, après avoir pensé longtemps à tuer Julien ou à le faire disparaître, il rêvait à lui bâtir une brillante fortune. Il lui faisait prendre le nom d’une de ses terres ; et pourquoi ne lui ferait-il pas passer sa pairie? M. le duc de Chaulnes, son beau-père, lui avait parlé plusieurs fois, depuis que son fils unique avait été tué en Espagne, du désir de transmettre son titre à Norbert…

 

L’on ne peut refuser à Julien une singulière aptitude aux affaires, de la hardiesse, peut-être même du brillant, se disait le marquis… Mais au fond de ce caractère je trouve quelque chose d’effrayant. C’est l’impression qu’il produit sur tout le monde, donc il y a là quelque chose de réel (plus ce point réel était difficile à saisir, plus il effrayait l’âme imaginative du vieux marquis).

 

Ma fille me le disait fort adroitement l’autre jour (dans une lettre supprimée) : « Julien ne s’est affilié à aucun salon, à aucune coterie. » Il ne s’est ménagé aucun appui contre moi, pas la plus petite ressource si je l’abandonne… Mais est-ce là ignorance de l’état actuel de la société?… Deux ou trois fois je lui ai dit : Il n’y a de candidature réelle et profitable que celle des salons…

 

Non, il n’a pas le génie adroit et cauteleux d’un procureur qui ne perd ni une minute ni une opportunité… Ce n’est point un caractère à la Louis XI. D’un autre côté, je lui vois les maximes les plus antigénéreuses… Je m’y perds… Se répéterait-il ces maximes pour servir de digue à ses passions?

 

Du reste, une chose surnage : il est impatient du mépris, je le tiens par là.

 

Il n’a pas la religion de la haute naissance, il est vrai, il ne nous respecte pas d’instinct… C’est un tort ; mais enfin, l’âme d’un séminariste devrait n’être impatiente que du manque de jouissance et d’argent. Lui, bien différent, ne peut supporter le mépris à aucun prix.

 

Pressé par la lettre de sa fille, M. de La Mole vit la nécessité de se décider : – Enfin, voici la grande question : l’audace de Julien est-elle allée jusqu’à entreprendre de faire la cour à ma fille, parce qu’il sait que je l’aime avant tout, et que j’ai cent mille écus de rente?

 

Mathilde proteste du contraire… Non, mons Julien, voilà un point sur lequel je ne veux pas me laisser faire illusion.

 

Y a-t-il eu amour véritable, imprévu? Ou bien désir vulgaire de s’élever à une belle position? Mathilde est clairvoyante, elle a senti d’abord que ce soupçon peut le perdre auprès de moi, de là cet aveu : c’est elle qui s’est avisée de l’aimer la première…

 

Une fille d’un caractère si altier se serait oubliée jusqu’à faire des avances matérielles !… Lui serrer le bras au jardin, un soir, quelle horreur ! Comme si elle n’avait pas eu cent moyens moins indécents de lui faire connaître qu’elle le distinguait.

 

Qui s’excuse, s’accuse ; je me défie de Mathilde… Ce jour-là, les raisonnements du marquis étaient plus concluants qu’à l’ordinaire. Cependant l’habitude l’emporta, il résolut de gagner du temps et d’écrire à sa fille. Car on s’écrivait d’un côté de l’hôtel à l’autre. M. de La Mole n’osait discuter avec Mathilde et lui tenir tête. Il avait peur de tout finir par une concession subite.

 

LETTRE

 

« Gardez-vous de faire de nouvelles folies ; voici un brevet de lieutenant de hussards pour M. le chevalier Julien Sorel de La Vernaye. Vous voyez ce que je fais pour lui. Ne me contrariez pas, ne m’interrogez pas. Qu’il parte dans vingt-quatre heures, pour se faire recevoir à Strasbourg, où est son régiment. Voici un mandat sur mon banquier ; qu’on m’obéisse. »

 

L’amour et la joie de Mathilde n’eurent plus de bornes ; elle voulut profiter de la victoire, et répondit à l’instant :

 

« M. de La Vernaye serait à vos pieds, éperdu de reconnaissance, s’il savait tout ce que vous daignez faire pour lui. Mais, au milieu de cette générosité, mon père m’a oubliée ; l’honneur de votre fille est en danger. Une indiscrétion peut faire une tache éternelle, et que vingt mille écus de rente ne répareraient pas. Je n’enverrai le brevet à M. de La Vernaye que si vous me donnez votre parole que, dans le courant du mois prochain, mon mariage sera célébré en public, à Villequier. Bientôt après cette époque, que je vous supplie de ne pas outrepasser, votre fille ne pourra paraître en public qu’avec le nom de Mme de La Vernaye. Que je vous remercie, cher papa, de m’avoir sauvée de ce nom de Sorel », etc., etc.

 

La réponse fut imprévue.

 

« Obéissez, ou je me rétracte de tout. Tremblez, jeune imprudente. Je ne sais pas encore ce que c’est que votre Julien, et vous-même vous le savez moins que moi. Qu’il parte pour Strasbourg, et songe à marcher droit. Je ferai connaître mes volontés d’ici à quinze jours. »

 

Cette réponse si ferme étonna Mathilde. Je ne connais pas Julien ; ce mot la jeta dans une rêverie, qui bientôt finit par les suppositions les plus enchanteresses ; mais elle les croyait la vérité. L’esprit de mon Julien n’a pas revêtu le petit uniforme mesquin des salons, et mon père ne croit pas à sa supériorité, précisément à cause de ce qui la prouve…

 

Toutefois si je n’obéis pas à cette velléité de caractère, je vois la possibilité d’une scène publique ; un éclat abaisse ma position dans le monde, et peut me rendre moins aimable aux yeux de Julien. Après l’éclat… pauvreté pour dix ans ; et la folie de choisir un mari à cause de son mérite ne peut se sauver du ridicule que par la plus brillante opulence. Si je vis loin de mon père, à son âge, il peut m’oublier… Norbert épousera une femme aimable, adroite : le vieux Louis XIV fut séduit par la duchesse de Bourgogne…

 

Elle se décida à obéir, mais sa garda de communiquer la lettre de son père à Julien ; ce caractère farouche eût pu être porté à quelque folie.

 

Le soir, lorsqu’elle apprit à Julien qu’il était lieutenant de hussards, sa joie fut sans bornes. On peut se la figurer par l’ambition de toute sa vie, et par la passion qu’il avait maintenant pour son fils. Le changement de nom le frappait d’étonnement.

 

Après tout, pensait-il, mon roman est fini, et à moi seul tout le mérite. J’ai su me faire aimer de ce monstre d’orgueil, ajoutait-il en regardant Mathilde ; son père ne peut vivre sans elle, et elle sans moi.

Chapitre XXXV. Un orage

 

Mon Dieu, donnez-moi la médiocrité !

 

MIRABEAU.

 

Son âme était absorbée ; il ne répondait qu’à demi à la vive tendresse qu’elle lui témoignait. Il restait silencieux et sombre. Jamais il n’avait paru si grand, si adorable aux yeux de Mathilde. Elle redoutait quelque subtilité de son orgueil qui viendrait déranger toute la position.

 

Presque tous les matins, elle voyait l’abbé Pirard arriver à l’hôtel. Par lui Julien ne pouvait-il pas avoir pénétré quelque chose des intentions de son père? Le marquis lui-même, dans un moment de caprice, ne pouvait-il pas lui avoir écrit? Après un aussi grand bonheur, comment expliquer l’air sévère de Julien? Elle n’osa l’interroger.

 

Elle n’osa ! elle, Mathilde ! Il y eut dès ce moment, dans son sentiment pour Julien, du vague, de l’imprévu, presque de la terreur. Cette âme sèche sentit de la passion tout ce qui en est possible dans un être élevé au milieu de cet excès de civilisation que Paris admire.

 

Le lendemain de grand matin, Julien était au presbytère de l’abbé Pirard. Des chevaux de poste arrivaient dans la cour avec une chaise délabrée, louée à la poste voisine.

 

– Un tel équipage n’est plus de saison, lui dit le sévère abbé, d’un air rechigné. Voici vingt mille francs dont M. de La Mole vous fait cadeau ; il vous engage à les dépenser dans l’année, mais en tâchant de vous donner le moins de ridicules possibles. (Dans une somme aussi forte, jetée à un jeune homme, le prêtre ne voyait qu’une occasion de pécher.)

 

Le marquis ajoute : M. Julien de La Vernaye aura reçu cet argent de son père, qu’il est inutile de désigner autrement. M. de La Vernaye jugera peut-être convenable de faire un cadeau à M. Sorel, charpentier à Verrières, qui soigna son enfance… Je pourrai me charger de cette partie de la commission, ajouta l’abbé ; j’ai enfin déterminé M. de La Mole à transiger avec cet abbé de Frilair, si jésuite. Son crédit est décidément trop fort pour le nôtre. La reconnaissance implicite de votre haute naissance par cet homme qui gouverne Besançon sera une des conditions tacites de l’arrangement.

 

Julien ne fut plus maître de son transport, il embrassa l’abbé, il se voyait reconnu.

 

– Fi donc ! dit M. Pirard en le repoussant ; que veut dire cette vanité mondaine?… Quant à Sorel et à ses fils, je leur offrirai, en mon nom, une pension annuelle de cinq cents francs, qui leur sera payée à chacun, tant que je serai content d’eux.

 

Julien était déjà froid et hautain. Il remercia, mais en termes très vagues et n’engageant à rien. Serait-il bien possible, se disait-il, que je fusse le fils naturel de quelque grand seigneur exilé dans nos montagnes par le terrible Napoléon? À chaque instant cette idée lui semblait moins improbable… Ma haine pour mon père serait une preuve… Je ne serais plus un monstre !

 

Peu de jours après ce monologue, le quinzième régiment de hussards, l’un des plus brillants de l’armée, était en bataille sur la place d’armes de Strasbourg. M. le chevalier de La Vernaye montait le plus beau cheval de l’Alsace, qui lui avait coûté six mille francs. Il était reçu lieutenant, sans avoir jamais été sous-lieutenant que sur les contrôles d’un régiment dont jamais il n’avait ouï parler.

 

Son air impassible, ses yeux sévères et presque méchants, sa pâleur, son inaltérable sang-froid commencèrent sa réputation dès le premier jour. Peu après, sa politesse parfaite et pleine de mesure, son adresse au pistolet et aux armes, qu’il fit connaître sans trop d’affectation, éloignèrent l’idée de plaisanter à haute voix sur son compte. Après cinq ou six jours d’hésitation, l’opinion publique du régiment se déclara en sa faveur. Il y a tout dans ce jeune homme, disaient les vieux officiers goguenards, excepté de la jeunesse.

 

De Strasbourg, Julien écrivit à M. Chélan, l’ancien curé de Verrières, qui touchait maintenant aux bornes de l’extrême vieillesse :

 

« Vous aurez appris avec une joie dont je ne doute pas les événements qui ont porté ma famille à m’enrichir. Voici cinq cents francs que je vous prie de distribuer sans bruit, ni mention aucune de mon nom, aux malheureux pauvres maintenant comme je le fus autrefois, et que sans doute vous secourez comme autrefois vous m’avez secouru. »

 

Julien était ivre d’ambition et non pas de vanité ; toutefois il donnait une grande part de son attention à l’apparence extérieure. Ses chevaux, ses uniformes, les livrées de ses gens étaient tenus avec une correction qui aurait fait honneur à la ponctualité d’un grand seigneur anglais. À peine lieutenant, par faveur et depuis deux jours, il calculait déjà que, pour commander en chef à trente ans, au plus tard, comme tous les grands généraux, il fallait à vingt-trois être plus que lieutenant. Il ne pensait qu’à la gloire et à son fils.

 

Ce fut au milieu des transports de l’ambition la plus effrénée qu’il fut surpris par un jeune valet de pied de l’hôtel de La Mole, qui arrivait en courrier.

 

« Tout est perdu, lui écrivait Mathilde ; accourez le plus vite possible, sacrifiez tout, désertez s’il le faut. À peine arrivé, attendez-moi dans un fiacre, près la petite porte du jardin, au n°… de la rue… J’irai vous parler ; peut-être pourrai-je vous introduire dans le jardin. Tout est perdu, et je le crains, sans ressource ; comptez sur moi, vous me trouverez dévouée et ferme dans l’adversité. Je vous aime. »

 

En quelques minutes, Julien obtint une permission du colonel et partit de Strasbourg à franc étrier ; mais l’affreuse inquiétude qui le dévorait ne lui permit pas de continuer cette façon de voyager au delà de Metz. Il se jeta dans une chaise de poste ; et ce fut avec une rapidité presque incroyable qu’il arriva au lieu indiqué, près de la petite porte du jardin de l’hôtel de La Mole. Cette porte s’ouvrit, et à l’instant Mathilde, oubliant tout respect humain, se précipité dans ses bras. Heureusement, il n’était que cinq heures du matin et la rue était encore déserte.

 

– Tout est perdu ; mon père, craignant mes larmes, est parti dans la nuit de jeudi. Pour où? Personne ne le sait. Voici sa lettre ; lisez. Et elle monta dans le fiacre avec Julien.

 

« Je pouvais tout pardonner, excepté le projet de vous séduire parce que vous êtes riche. Voilà, malheureuse fille, l’affreuse vérité. Je vous donne ma parole d’honneur que je ne consentirai jamais à un mariage avec cet homme. Je lui assure dix mille livres de rente s’il veut vivre au loin, hors des frontières de France, ou mieux encore en Amérique. Lisez la lettre que je reçois en réponse aux renseignements que j’avais demandés. L’impudent m’avait engagé lui-même à écrire à Mme de Rênal. Jamais je ne lirai une ligne de vous relative à cet homme. Je prends en horreur Paris et vous. Je vous engage à recouvrir du plus grand secret ce qui doit arriver. Renoncez franchement à un homme vil, et vous retrouverez un père. »

 

– Où est la lettre de Mme de Rênal? dit froidement Julien.

 

– La voici. Je n’ai voulu te la montrer qu’après que tu aurais été préparé.

 

LETTRE

 

« Ce que je dois à la cause sacrée de la religion et de la morale m’oblige, monsieur, à la démarche pénible que je viens accomplir auprès de vous ; une règle, qui ne peut faillir, m’ordonne de nuire en ce moment à mon prochain, mais afin d’éviter un plus grand scandale. La douleur que j’éprouve doit être surmontée par le sentiment du devoir. Il n’est que trop vrai, monsieur, la conduite de la personne au sujet de laquelle vous me demandez toute la vérité a pu sembler inexplicable ou même honnête. On a pu croire convenable de cacher ou de déguiser une partie de la réalité, la prudence le voulait aussi bien que la religion. Mais cette conduite, que vous désirez connaître, a été dans le fait extrêmement condamnable, et plus que je ne puis le dire. Pauvre et avide, c’est à l’aide de l’hypocrisie la plus consommé, et par la séduction d’une femme faible et malheureuse, que cet homme a cherché à se faire un état et à devenir quelque chose. C’est une partie de mon pénible devoir d’ajouter que je suis obligée de croire que M. J… n’a aucun principe de religion. En conscience, je suis contrainte de penser qu’un de ses moyens pour réussir dans une maison, est de chercher à séduire la femme qui a le principal crédit. Couvert par une apparence de désintéressement et par des phrases de roman, son grand et unique objet est de parvenir à disposer du maître de la maison et de sa fortune. Il laisse après lui le malheur et des regrets éternels », etc., etc., etc.

 

Cette lettre extrêmement longue et à demi effacée par des larmes était bien de la main de Mme de Rênal ; elle était même écrite avec plus de soin qu’à l’ordinaire.

 

– Je ne puis blâmer M. de La Mole, dit Julien, après l’avoir finie ; il est juste et prudent. Quel père voudrait donner sa fille chérie à un tel homme ! Adieu !

 

Julien sauta à bas du fiacre et courut à sa chaise de poste arrêtée au bout de la rue. Mathilde, qu’il semblait avoir oubliée, fit quelques pas pour le suivre ; mais les regards des marchands qui s’avançaient sur la porte de leurs boutiques, et desquels elle était connue, la forcèrent à rentrer précipitamment au jardin.

 

Julien était parti pour Verrières. Dans cette route rapide, il ne put écrire à Mathilde comme il en avait le projet, sa main ne formait sur le papier que des traits illisibles.

 

Il arriva à Verrières un dimanche matin. Il entra chez l’armurier du pays, qui l’accabla de compliments sur sa récente fortune. C’était la nouvelle du pays.

 

Julien eut beaucoup de peine à lui faire comprendre qu’il voulait une paire de pistolets. L’armurier sur sa demande chargea les pistolets.

 

Les trois coups sonnaient ; c’est un signal bien connu dans les villages de France et qui, après les diverses sonneries de la matinée, annonce le commencement immédiat de la messe.

 

Julien entra dans l’église neuve de Verrières. Toutes les fenêtres hautes de l’édifice étaient voilées avec des rideaux cramoisis. Julien se trouva à quelques pas derrière le banc de Mme de Rênal. Il lui sembla qu’elle priait avec ferveur. La vue de cette femme qui l’avait tant aimé fit trembler le bras de Julien d’une telle façon, qu’il ne put d’abord exécuter son dessein. Je ne le puis, se disait-il à lui-même ; physiquement, je ne le puis.

 

En ce moment, le jeune clerc qui servait la messe sonna pour l’élévation. Mme de Rênal baissa la tête qui un instant se trouva presque entièrement cachée par les plis de son châle. Julien ne la reconnaissait plus aussi bien ; il tira sur elle un coup de pistolet et la manqua ; il tira un second coup, elle tomba.

Chapitre XXXVI. Détails tristes

 

Ne vous attendez point de ma part à de la faiblesse. Je me suis vengé. J’ai mérité la mort et me voici. Priez pour mon âme.

 

SCHILLER.

 

Julien resta immobile, il ne voyait plus. Quand il revint un peu à lui, il aperçut tous les fidèles qui s’enfuyaient de l’église ; le prêtre avait quitté l’autel. Julien se mit à suivre d’un pas assez lent quelques femmes qui s’en allaient en criant. Une femme qui voulait fuir plus vite que les autres le poussa rudement, il tomba. Ses pieds s’étaient embarrassés dans une chaise renversée par la foule ; en se relevant, il se sentit le cou serré ; c’était un gendarme en grande tenue qui l’arrêtait. Machinalement Julien voulut avoir recours à ses petits pistolets, mais un second gendarme s’emparait de ses bras.

 

Il fut conduit à la prison. On entra dans une chambre, on lui mit les fers aux mains, on le laissa seul, la porte se ferma sur lui à double tour ; tout cela fut exécuté très vite, et il y fut insensible.

 

– Ma foi, tout est fini, dit-il tout haut en revenant à lui… Oui, dans quinze jours la guillotine… ou se tuer d’ici là.

 

Son raisonnement n’allait pas plus loin ; il se sentait la tête comme si elle eût été serrée avec violence. Il regarda pour voir si quelqu’un le tenait. Après quelques instants, il s’endormit profondément.

 

Mme de Rênal n’était pas blessée mortellement. La première balle avait percé son chapeau ; comme elle se retournait, le second coup était parti. La balle l’avait frappée à l’épaule, et chose étonnante, avait été renvoyée par l’os de l’épaule, que pourtant elle cassa, contre un pilier gothique dont elle détacha un énorme éclat de pierre.

 

Quand, après un pansement long et douloureux ; le chirurgien, homme grave, dit à Mme de Rênal : Je réponds de votre vie comme de la mienne, elle fut profondément affligée.

 

Depuis longtemps, elle désirait sincèrement la mort. La lettre qui lui avait été imposée par son confesseur actuel, et qu’elle avait écrite à M. de La Mole, avait donné le dernier coup à cet être affaibli par un malheur trop constant. Ce malheur était l’absence de Julien ; elle l’appelait, elle, le remords. Le directeur, jeune ecclésiastique vertueux et fervent ; nouvellement arrivé de Dijon, ne s’y trompait pas.

 

Mourir ainsi, mais non de ma main, ce n’est point un péché, pensait Mme de Rênal. Dieu me pardonnera peut-être de me réjouir de ma mort. Elle n’osait ajouter : Et mourir de la main de Julien, c’est le comble des félicités.

 

À peine fut-elle débarrassée de la présence du chirurgien et de tous les amis accourus en foule, qu’elle fit appeler Élisa, sa femme de chambre.

 

– Le geôlier, lui dit-elle en rougissant beaucoup, est un homme cruel. Sans doute il va le maltraiter, croyant en cela faire une chose agréable pour moi… Cette idée m’est insupportable. Ne pourriez-vous pas aller comme de vous-même remettre au geôlier ce petit paquet qui contient quelques louis? Vous lui direz que la religion ne permet pas qu’il le maltraite… Il faut surtout qu’il n’aille pas parler de cet envoi d’argent.

 

C’est à la circonstance dont nous venons de parler que Julien dut l’humanité du geôlier de Verrières ; c’était toujours ce M. Noiroud, ministériel parfait, auquel nous avons vu la présence de M. Appert faire une si belle peur.

 

Un juge parut dans la prison.

 

– J’ai donné la mort avec préméditation, lui dit Julien ; j’ai acheté et fait charger les pistolets chez un tel, l’armurier. L’article 1342 du Code pénal est clair, je mérite la mort, et je l’attends.

 

Le juge, étonné de cette façon de répondre, voulut multiplier les questions pour faire en sorte que l’accusé se coupât dans ses réponses.

 

– Mais ne voyez-vous pas, lui dit Julien en souriant, que je me fais aussi coupable que vous pouvez le désirer? Allez, monsieur, vous ne manquerez pas la proie que vous poursuivez. Vous aurez le plaisir de condamner. Épargnez-moi votre présence.

 

Il me reste un ennuyeux devoir à remplir, pensa Julien, il faut écrire à Mlle de La Mole.

 

« Je me suis vengé, lui disait-il. Malheureusement, mon nom paraîtra dans les journaux, et je ne puis m’échapper de ce monde incognito. Je mourrai dans deux mois. La vengeance a été atroce, comme la douleur d’être séparé de vous. De ce moment, je m’interdis d’écrire et de prononcer votre nom. Ne parlez jamais de moi, même à mon fils : le silence est la seule façon de m’honorer. Pour le commun des hommes je serai un assassin vulgaire… Permettez-moi la vérité en ce moment suprême : vous m’oublierez. Cette grande catastrophe, dont je vous conseille de ne jamais ouvrir la bouche à être vivant, aura épuisé pour plusieurs années tout ce que je voyais de romanesque et de trop aventureux dans votre caractère. Vous étiez faite pour vivre avec les héros du moyen âge ; montrez leur ferme caractère. Que ce qui doit se passer soit accompli en secret et sans vous compromettre. Vous prendrez un faux nom, et n’aurez pas de confident. S’il vous faut absolument le secours d’un ami, je vous lègue l’abbé Pirard.

 

Ne parlez à nul autre, surtout pas de gens de votre classe : les de Luz, les Caylus.

 

Un an après ma mort, épousez M. de Croisenois ; je vous en prie, je vous l’ordonne comme votre époux. Ne m’écrivez point, je ne répondrais pas. Bien moins méchant que Iago, à ce qu’il me semble, je vais dire comme lui :

 

From this time forth

I never will speak word.

 

On ne me verra ni parler ni écrire ; vous aurez eu mes dernières paroles comme mes dernières adorations.

 

J. S. »

 

Ce fut après avoir fait partir cette lettre que pour la première fois Julien, un peu revenu à lui, fut très malheureux. Chacune des espérances de l’ambition dut être arrachée successivement de son cœur par ce grand mot : Je mourrai. La mort en elle-même n’était pas horrible à ses yeux. Toute sa vie n’avait été qu’une longue préparation au malheur, et il n’avait eu garde d’oublier celui qui passe pour le plus grand de tous.

 

Quoi donc ! se disait-il, si dan soixante jours je devais me battre en duel avec un homme très fort sur les armes, est-ce que j’aurais la faiblesse d’y penser sans cesse, et la terreur dans l’âme?

 

Il passa plus d’une heure à chercher à se bien connaître sous ce rapport.

 

Quand il eut vu clair dans son âme, et que la vérité parut devant ses yeux aussi nettement qu’un des piliers de sa prison, il pensa au remords.

 

Pourquoi en aurais-je? J’ai été offensé d’une manière atroce ; j’ai tué, je mérite la mort, mais voilà tout. Je meurs après avoir soldé mon compte envers l’humanité. Je ne laisse aucune obligation non remplie, je ne dois rien à personne ; ma mort n’a rien de honteux que l’instrument : cela seul, il est vrai, suffit richement pour ma honte aux yeux des bourgeois de Verrières ; mais sous le rapport intellectuel, quoi de plus méprisable ! Il me reste un moyen d’être considérable à leurs yeux : c’est de jeter au peuple des pièces d’or en allant au supplice. Ma mémoire, liée à l’idée de l’or, sera resplendissante pour eux.

 

Après ce raisonnement, qui au bout d’une minute lui sembla évident : Je n’ai plus rien à faire sur la terre, se dit Julien, et il s’endormit profondément.

 

Vers les neuf heures du soir, le geôlier le réveilla en lui apportant à souper.

 

– Que dit-on dans Verrières?

 

– Monsieur Julien, le serment que j’ai prêté devant le crucifix, à la cour royale, le jour que je fus installé dans ma place, m’oblige au silence.

 

Il se taisait, mais restait. La vue de cette hypocrisie vulgaire amusa Julien. Il faut, pensa-t-il, que je lui fasse attendre longtemps les cinq francs qu’il désire pour me vendre sa conscience.

 

Quand le geôlier vit le repas finir sans tentative de séduction :

 

– L’amitié que j’ai pour vous, Monsieur Julien, dit-il d’un air faux et doux, m’oblige à parler ; quoiqu’on dise que c’est contre l’intérêt de la justice, parce que cela peut vous servir à arranger votre défense… Monsieur Julien, qui est bon garçon, sera bien content si je lui apprends que Mme de Rênal va mieux.

 

– Quoi ! elle n’est pas morte ! s’écria Julien hors de lui.

 

– Quoi ! vous ne saviez rien ! dit le geôlier d’un air stupide qui bientôt devint de la cupidité heureuse. Il sera bien juste que Monsieur donne quelque chose au chirurgien qui, d’après la loi et la justice, ne devait pas parler. Mais pour faire plaisir à Monsieur, je suis allé chez lui, et il m’a tout conté…

 

– Enfin, la blessure n’est pas mortelle, lui dit Julien impatienté, tu m’en réponds sur ta vie?

 

Le geôlier, géant de six pieds de haut, eut peur et se retira vers la porte. Julien vit qu’il prenait une mauvaise route pour arriver à la vérité, il se rassit et jeta un napoléon à M. Noiroud.

 

À mesure que le récit de cet homme prouvait à Julien que la blessure de Mme de Rênal n’était pas mortelle, il se sentait gagné par les larmes.

 

– Sortez ! dit-il brusquement.

 

Le geôlier obéit. À peine la porte fut-elle fermée : Grand Dieu ! elle n’est pas morte ! s’écria Julien ; et il tomba à genoux, pleurant à chaudes larmes.

 

Dans ce moment suprême, il était croyant. Qu’importent les hypocrisies des prêtres? peuvent-elles ôter quelque chose à la vérité et à la sublimité de l’idée de Dieu?

 

Seulement alors, Julien commença à se repentir du crime commis. Par une coïncidence qui lui évita le désespoir, en cet instant seulement venait de cesser l’état d’irritation physique et de demi-folie où il était plongé depuis son départ de Paris pour Verrières.

 

Ses larmes avaient une source généreuse, il n’avait aucun doute sur la condamnation qui l’attendait.

 

Ainsi elle vivra ! se disait-il… Elle vivra pour me pardonner et pour m’aimer…

 

Le lendemain matin fort tard, quand le geôlier le réveilla :

 

– Il faut que vous ayez un fameux cœur, Monsieur Julien, lui dit cet homme. Deux fois je suis venu et n’ai pas voulu vous réveiller. Voici deux bouteilles d’excellent vin que vous envoie M. Maslon, notre curé.

 

– Comment? ce coquin est encore ici? dit Julien.

 

– Oui, Monsieur, répondit le geôlier en baissant la voix, mais ne parlez pas si haut, cela pourrait vous nuire.

 

Julien rit de bon cœur.

 

– Au point où j’en suis, mon ami, vous seul pourriez me nuire si vous cessiez d’être doux et humain… Vous serez bien payé, dit Julien en s’interrompant et reprenant l’air impérieux. Cet air fut justifié à l’instant par le don d’une pièce de monnaie.

 

M. Noiroud raconta de nouveau et dans les plus grands détails tout ce qu’il avait appris sur Mme de Rênal, mais il ne parla point de la visite de Mlle Élisa.

 

Cet homme était bas et soumis autant que possible. Une idée traversa la tête de Julien : Cette espèce de géant difforme peut gagner trois ou quatre cents francs, car sa prison n’est guère fréquentée ; je puis lui assurer dix mille francs, s’il veut se sauver en Suisse avec moi… La difficulté sera de le persuader de ma bonne foi. L’idée du long colloque à avoir avec un être aussi vil inspira du dégoût à Julien, il pensa à autre chose.

 

Le soir, il n’était plus temps. Une chaise de poste vint le prendre à minuit. Il fut très content des gendarmes, ses compagnons de voyage. Le matin, lorsqu’il arriva à la prison de Besançon, on eut la bonté de le loger dans l’étage supérieur d’un donjon gothique. Il jugea l’architecture du commencement du XIVe siècle ; il en admira la grâce et la légèreté piquante. Par un étroit intervalle entre deux murs au delà d’une cour profonde, il avait une échappée de vue superbe.

 

Le lendemain, il y eut un interrogatoire, après quoi, pendant plusieurs jours on le laissa tranquille. Son âme était calme. Il ne trouvait rien que de simple dans son affaire : J’ai voulu tuer, je dois être tué.

 

Sa pensée ne s’arrêta pas davantage à ce raisonnement. Le jugement, l’ennui de paraître en public, la défense, il considérait tout cela comme de légers embarras, des cérémonies ennuyeuses auxquelles il serait temps de songer le jour même. Le moment de la mort ne l’arrêtait guère plus : J’y songerai après le jugement. La vie n’était point ennuyeuse pour lui, il considérait toutes choses sous un nouvel aspect, il n’avait plus d’ambition. Il pensait rarement à Mlle de La Mole. Ses remords l’occupaient beaucoup et lui présentaient souvent l’image de Mme de Rênal, surtout pendant le silence des nuits, troublé seulement, dans ce donjon élevé, par le chant de l’orfraie !

 

Il remerciait le ciel de ne l’avoir pas blessée à mort. Chose étonnante ! se disait-il, je croyais que par sa lettre à M. de La Mole elle avait détruit à jamais mon bonheur à venir, et, moins de quinze jours après la date de cette lettre, je ne songe plus à tout ce qui m’occupait alors… Deux ou trois mille livres de rente pour vivre tranquille dans un pays de montagnes comme Vergy… J’étais heureux alors… Je ne connaissais pas mon bonheur !

 

Dans d’autres instants, il se levait en sursaut de sa chaise. Si j’avais blessé à mort Mme de Rênal, je me serais tué… J’ai besoin de cette certitude pour ne pas me faire horreur à moi-même.

 

Me tuer ! voilà la grande question, se disait-il. Ces juges si formalistes, si acharnés après le pauvre accusé, qui feraient pendre le meilleur citoyen, pour accrocher la croix… Je me soustrairais à leur empire, à leurs injures en mauvais français, que le journal du département va appeler de l’éloquence…

 

Je puis vivre encore cinq ou six semaines, plus ou moins… Me tuer ! ma foi non, se dit-il après quelques jours, Napoléon a vécu…

 

D’ailleurs, la vie m’est agréable ; ce séjour est tranquille ; je n’y ai point d’ennuyeux, ajouta-t-il en riant, et il se mit à faire la note des livres qu’il voulait faire venir de Paris.


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