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Grammaticalisation et lexicalisation.



L'é volution sé mantique peut conduire, d'une part, à la grammaticalisation de mots pleins et d'autre part, à une lexicalisation des formes grammaticales. La grammaticalisation suppose la transformation graduelle d'une signification individuelle, donc lexicale, en une signification caté gorielle d'ordre grammatical, alors que la lexicalisation repose sur un processus inverse.

Ainsi pas mal de mots-outils du franç ais moderne sont d'anciens mots autonomes à sens lexical. L'histoire de la langue franç aise nous fournit une quantité d'exemples de ce genre. Il est connu que l'article indé fini un, une provient de l'adjectif numé ral latin unum > un; unam > une.

LA FORMATION DES MOTS.

1. La dé rivation affixale

a) suffixation (des adverbes, des substantifs, des adjectifs, des verbes)

b) la pré fixation (des verbes, des substantifs, des adjectifs).

2. La dé rivation parasynthé tique, ré gressive et impropre.

3. La composition.

4. Le té lescopage.

5. Les diffé rents types d'abré viation.

6. Le redoublement.

7. L'onomatopé e.

La formation des mots et son rô le dans l'enrichissement lexical. La formation des mots est

à cô té de l'é volution sé mantique, une source fé conde de l'enrichissement du vocabulaire franç ais.

La dé rivation par suffixes. Gé né ralité s. La dé rivation suffixale est un procé dé de formation bien vivant et particuliè rement productif dans le franç ais contemporain, ce qui est dé montré avec é vidence par J.Dubois dans son ouvrage «Etude sur ladé rivation suffixale en franç ais moderne et contemporain».

Le degré de vitalité et de productivité des suffixes existants, n'é tant pas toujours le mê me au

cours du temps, nous sommes en pré sence de deux tendances contraires: certains suffixes ont à peu

prè s ou tout à fait cessé d'ê tre productifs; d'autres sont en pleine vigueur et productivité. Pourtant

les suffixes moins productifs ne sont pas sans importance, eux non plus, dans le franç ais d'aujourd'hui. C'est que ces suffixes qui é taient jadis bien productifs, ont enrichi le vocabulaire d'un grand nombre de mots qui ont reç u un large emploi; certains de ces mots font partie du fonds usuel du vocabulaire. Entre autres, on peut signaler les dé rivé s avec les suffixes peu productifs aujourd'hui né anmoins fort ré pandus. Parmi ces suffixes nommons –eur (grandeur), -esse (tendresse), -ise (franchise), etc.

Les parties du discours sont à un point diffé rents sujets à la suffixation. Ce sont surtout les

nominaux (substantifs, adjectifs, adverbes) qui sont caracté risé s par la suffixation. Les verbes formé s à l'aide de suffixes sont relativement moins nombreux.

La suffixation des adjectifs. La suffixation est aussi un des moyens les plus importants de la formation des adjectifs. Les suffixes les plus ré pandus et les plus productifs des adjectifs sont -ique, -al, -el, -aire, -iste, -ien, -able, -é. Un nombre considé rable de suffixes communiquent aux dé rivé s l'idé e d'une relation, de l'appartenance à ce qui est exprimé par la base formative. Tels sont: le suffixe -ique exprimant de pré fé rence l'appartenance à quelque branche scientifique, à une é cole ou un genre artistique, à une doctrine: philosophique, gé ographique, historique, artistique, poé tique, romantique; il exprime aussi l'appartenance à une couche sociale: aristocratique, bureaucratique. Un sens relationnel est rendu par des suffixes -al (-aie; -aux, -aies) et -el (-elle; -els, -elles): national, colonial, dialectal; ministé riel, industriel; - aire: ré volutionnaire, universitaire; -iste exprimant l'appartenance à une idé ologie, une doctrine, à un parti politique: monarchiste, anarchiste, socialiste, ré formiste: -ais (-aise), - ois (- oise ) exprimant l'appartenance à un pays, à une localité : franç ais, anglais, chinois, sué dois, champenois; -ien (-ienne), -é en (-é enne), -ier (-iè re), -in (-ine): prolé tarien, acadé micien,

ukrainien; europé en; financier; fé minin: il en est de mê me pour le suffixe - ain (-aine): amé ricain, ré publicain. Ces dé rivé s sont tiré s de substantifs, l'idé e de l'appartenance est é galement rendue par les suffixes.

La suffixation des adverbes. La dé rivation des adverbes s'effectue à l'aide de l'unique suffixe -ment. Ce suffixe provient du latin mente, l'ablatif de mens - «esprit, faç on de penser». Au cours de son dé veloppement historique la signification premiè re de ce mot s'est effacé e et il s'est converti en un suffixe ordinaire servant à former des adverbes: dè s lors on a pu l'accoler à toutes sortes de bases formatives.

Dans le franç ais moderne les adverbes avec ce suffixe sont en corré lation avec des adjectifs

dont ils sont formé s: lentement < < - lente, heureusement < < - heureuse, mollement < < - molle, rapidement < < - rapide, modestement < < - modeste, prudemment < < - prudent.

Les formations avec ce suffixe peuvent exprimer: la maniè re (par exemple, tous les adverbes cité s ci-dessus); le degré d'intensité de la manifestation d'un phé nomè ne: complè tement, entiè rement, extrê mement, suffisamment ; un rapport de temps, par ex.: prochainement ; l'attitude du sujet parlant envers la ré alité : probablement, certainement, é videmment.

La suffixation des verbes. La suffixation est moins typique des verbes que des substantifs et des adjectifs.

Le suffixe - is, qui est parmi les plus productifs, signifie le fait d'ê tre ou de mettre dans l'é tat exprimé par la base formative: agoniser < - agonie, « ê tre dans l'agonie »; lé galiser < < - lé gal, «rendre lé gal »; é galiser < < - é gal, « rendre é gal ». Les formations avec ce suffixe sont en corré lation avec des substantifs ou des adjectifs.

La formation des mots par pré fixes. Gé né ralité s. Conformé ment à leur mé thode historique F. Diez et A. Darmesteter font entrer la pré fixation dans la composition vu que les pré fixes franç ais remontent pour la plupart à des mots latins. Plus tard les linguistes se sont affranchis de cette conception purement é tymologique. Kr. Nyrop considè re la pré fixation comme un procé dé de formation tout particulier; A. Dauzaf et E. Pichorf ont à juste titre introduit la pré fixation dans la dé rivation affixale à l'é gal de la suffixation. Cette derniè re conception a pré valu. En effet, les pré fixes se rapprochent à bien des é gards des suffixes. Tout comme ces derniers les pré fixes sont caracté risé s par un sens plus gé né ral que celui des bases formatives, ce qui leur permet de fonctionner en qualité d'é lé ments constants d'un modè le de formation (cf.: en- (em-) + base formative verbale: en-traî n(er), en-lev(er), em-port(er), s'en-vol(er). À l'encontre des bases formatives les pré fixes et les suffixes ne servent jamais de base de formation. On ne saurait cré er de mots nouveaux à partir d'un pré fixe ou d'un suffixe; les combinaisons « base formative + suffixe » et « pré fixe + base formative » sont normales,

alors que la combinaison « pré fixe + suffixe » est impossible. Ce dernier indice est dé cisif dans la distinction entre un affixe et une base formative.

La dé rivation parasynthé tique. Par la dé rivation parasynthé tique on comprend la formation de mots nouveaux par l'adjonction simultané e à la base formative d'un suffixe et d'un pré fixe: appontement < < -pont - «пристань на сваях», empiè cement < < - piè ce «вставка на платье», souterrain < < - terre; encolure < < - col, encorné < < corne.

Ce procé dé paraî t ê tre productif dans la formation des adjectifs tels que biailé, triatomicque, extra-cellulaire, transcontinental, polycylindrique qui sont en corré lation avec des substantifs puisqu'ils se laissent analyser comme « qui a deux ailes », «formé de trois atomes », «qui traverse un continent », « contenant plusieurs cylindres » et non pas comme « deux fois ailé », « trois fois atomique », etc.

Ajoutons quelques cré ations ré centes: transsonique, monoparental, pluridisciplinaire, multiculturel, antidé presseur < dé press /ion/.

La dé rivation ré gressive. Ce procé dé, appelé aussi « dé rivation sans suffixe » ou «dé rivation avec le suffixe zé ro », consiste en la formation de mots par le retrachement de certains suffixes. Ainsi on a formé dé mocrate, aristocrate, autonome de dé mocratie, aristocratie, autonomie en rejetant le suffixe -ie. Ceci est vrai dans la perspective diachronique, alors que l'analyse synchronique peut offrir un tableau diffé rent. En effet, certains mots qui sont historiquement cré é s par dé rivation ré gressive seront interpré té s dans la synchronie comme des bases de formations suffixales. Tel est le cas de autonome qui a é té ré ellement cré é de autonomie.

L'approche synchronique, qui fait abstraction de l'é tymologie, nous autorise à voir dans autonomie - « caractè re de ce qui est autonome » un dé rivé de autonome puisqu'il est motivé par ce dernier conformé ment à un modè le de formation suffixal typique (cf.: folie < < fou (fol), jalousie < < jaloux). Quant à aristocrate et dé mocrate leur interpré tation dans la synchronie coï ncidera avec leur cré ation ré elle du fait que ce sont pré cisé ment ces formations qui sont motivé es par aristocratie et dé mocratie et non inversement (ainsi un dé mocrate est un partisan de la dé mocratie). Ceci correspond aux rapports dé rivationnels typiques dans le systè me actuel de formation: dans une opposition formative le substantif dé signant l'homme d'aprè s quelque caracté ristique est nettement conç u comme une formation dé rivé e (cf.: chirurgien < -chirurgie, dentistes < - dent, hô telier < - hô tel et aussi les formations ré centes propé deute de propé deutique, psycholinguiste de psycholinguistique).

Il est à noter qu'on range souvent dans la dé rivation ré gressive les substantifs tiré s de verbes et coï ncidant avec les radicaux de ces derniers: cri < < - crier, vol < < - voler, appel < < -appeler. Cette interpré tation erroné e est fondé e sur l'opinion ré pandue, surtout parmi les linguistes franç ais, que le -er final des verbes à l'infinitif est un suffixe, alors qu'il n'est rien autre qu'une dé sinence verbale.

Notons que la dé rivation ré gressive est peu productive en franç a is moderne.

La dé rivation impropre. Kr. Nyrop dé finit la dé rivation impropre comme «le procé dé par lequel on tire d'un mot existant un autre mot en lui attribuant simplement une fonction nouvelle». En effet, par ce procé dé on cré e un nouveau mot à partir d'une des formes d'un mot ancien en la faisant passer dans une autre caté gorie grammaticale ou lexico-grammaticale. Tels sont le bien, le souper, un radio, tiré s de bien, souper, radio. Ces mots nouvellement cré é s qui se rangent gé né ralement dans une autre partie du discours repré sentent des homonymes par rapport aux mots gé né rateurs.

La dé rivation impropre est fort productive en franç ais moderne. Certains linguistes dont Ch.

Bally considè rent ce procé dé de formation comme un des plus fé conds. On forme facilement des

mots nouveaux qui reç oivent les caracté ristiques d'une autre partie du discours.

La composition. Ce procé dé de formation, quoique moins productif que la dé rivation affixale occupe une place importante dans le systè me formatif du franç ais d'aujourd'hui.

La composition est interpré té e de faç on diffé rente en linguistique.

Selon une conception trè s ré pandue un mot composé en franç ais n'est pas seulement celui qui est formé par l'adjonction de bases diffé rentes comme, par exemple, en russe «пapoxoд, caмолёт», mais n'importe quelle expression qui pré sente un groupement constant et usuel exprimant une notion, un seul concept. C'est pourquoi les locutions telles que chemin de fer, boî te aux lettres, pomme de terre, etc., sont traité es comme de mots composé s.

Le té lescopage. Par ce procé dé on forme des mots issus de la fusion de deux mots exprimant des notions contiguë s [23, p. 245-248]. Ainsi, sur le modè le de motel > mo[tor (car)] + [hô ]tel - formation anglo-amé ricaine - on a cré é en franç ais aquatel - « hô tel flottant qui se dé place sur l'eau » de aqua[tique] et [hô ]tel. Ces formations sont trè s en vogue à l'heure actuelle.

Citons, entre autres, cybernation de cybern [é tique] et [autom] ation, té lé siè ge de té lé [fé rique] et siè ge, altiport - « petit aé rodrome qui dessert une station de montagne » de alti[tude] et port, diathè que de dia [positive] et -thè que, eurovision de euro [pé en] et [té lé ] vision, franglais de fran[ç ais] et [an] glais, pantacourt de panta[lon] et court, restauroute de restau [rant] et route, universiade - « compé tition sportive internationale entre é quipes universitaires » de univers[ité ] et [olymp]iade, vertiport de verti[cal] et [air]port - « terrain destiné à l'atterrissage et au dé collage des hé licoptè res et des avions à dé collage court », futurible de futur et [poss]ible, synonyme de futurologue.

Ce procé dé é conomique et baroque à la fois est utilisé, d'une part, dans la publicité et dans certaines terminologies, et de l'autre, dans le langage parlé familier où il sert à fabriquer des mots plaisants comme applaudimè tre de applaudi[ssements] et mè tre, copoclé phile de co[lleclionneur], de po[rte]-clé et phile, gastronomade de gastro[nome] et nomade.

L'abré viation. Le franç ais parlé qui de tout temps a ré pugné aux mots trop longs continue à les abré ger, surtout lorsque l'aspect en ré vè le l'origine savante. Cette tendance à l'abré viation s'est considé rablement accrue depuis la fin du XIXe.

Le redoublement et la dé formation des mots. Tout comme l'abré viation le redoublement et la dé formation mè nent avant tout à l'apparition de variantes de mots dé jà existants et non point à la cré ation de nouvelles unité s lexicales. Les unité s formé es par redoublement (l'é lé ment redoublé peut ê tre une syllabe et mê me un son) reç oivent gé né ralement des nuances mé lioratives et familiè res. Tels sont, entre autres, fifils pour «fils », pé pè re ou pé pé pour « grand-pè re », mé mè re ou mé mé - « grand-mè re », tata, tati(e) - « tante », tonton - «oncle », nounou - « nourrice »; pour « fille » on dira fifille qui peut pourtant prendre aussi une nuance ironique (la fifille à papa).

L'onomatopé e. Par l'onomatopé e, signifiant proprement « formation de mots », on appelle

à pré sent la cré ation de mots qui par leur aspect phonique sont des imitations plus ou moins proches, toujours conventionnelles, des cris d'animaux ou des bruits diffé rents, par exemple: cricri, crincrin, coucou, miaou, coquerico, ronron, glouglou, froufrou.

Ce procé dé de formation offre une particularité par le fait qu'il s'appuie sur une motivation naturelle ou phonique qui s'oppose à la motivation intralinguistique caracté ristique de tous les autres procé dé s de formation.

L'onomatopé e est d'une productivité restreinte, ce qui s'explique en particulier par le caractè re relativement ré duit des sons perceptibles par l'oreille humaine. Signalons pourtant les cré ations ré centes: bang [bâ g] - « bruit produit par un avion supersonique », glop [glop] - « bruit ressemblant à un coeur qui bat », yé -yé - formé par imitation du refrain d'une chanson amé ricaine (de « yeah... yeah », alté ration de « yes »), blabla-(bla) employé familiè rement pour «bavardage, verbiage sans inté rê t », boum - « bruit sonore de ce qui tombe ou explose, baraboum ! imitant un bruit de chute, bim ! et bing ! [bin] qui é voquent un coup.

LA FORMATION DES LOCUTIONS PHRASÉ OLOGIQUES

Notions pré alables. Les locutions phrasé ologiques sont des unité s lexicales qui par leur fonctionnement se rapprochent souvent des mots ce qui permet d'envisager leur cré ation à cô té de la formation des mots.

Le premier examen approfondi de la phrasé ologie franç aise a é té entrepris par le linguiste suisse Charles Bally. A. Sechehaye, J. Marouzeau soulè vent aussi certaines questions ayant trait à la phrasé ologie franç aise.

Les principes de classification. Tout comme le mot la locution phrasé ologique est un phé nomè ne excessivement complexe qui se prê te à une é tude multilaté rale. De là les difficulté s qui se pré sentent lorsqu'on aborde la classification des locutions phrasé ologiques qui pourraient ê tre groupé es à partir de principes divers reflé tant leurs nombreuses caracté ristiques. Ainsi d'aprè s le degré de la motivation on distinguerait les locutions immotivé es (n 'avoir pas froid aux yeux - «avoir de l'é nergie, du courage »), sé mantiquement motivé s (rire du bout des lè vres - « sans en avoir envie ») et les locutions à sens litté ral (livrer une bataille, se rompre le cou).

Conformé ment à leurs fonctions communicatives on pourrait dé gager les locutions à valeur intellectuelle (salle à manger, le bon sens, au bout du compte), à valeur logico-é motionnelle (droit comme une faucille - «tordu », ses cheveux frisent comme des chandelles - « elle (il) a des cheveux plats »), à valeur affective (Flû te alors! - qui marque le dé pit). Le fonctionnement syntaxique distinct des locutions phrasé ologiques permet de les qualifier d'é quivalents de mots (pomme de terre, tout de suite, sans cesse), de groupements de mots (courir un danger, embarras de richesse), d'é quivalents de phrases (c'est une autre paire de manches; qui dort dî ne; qui trop embrasse mal é treint [prov.]).

Les locutions phrasé ologiques pourraient ê tre tout aussi bien classé es à partir d'autres principes dont la structure grammaticale ou l'appartenance à un style fonctionnel. Toutefois le principe sé mantique, qui est mis en vedette par V.V.Vinogradov, paraî t ê tre un des plus fructueux. Il permet de ré partir les locutions phrasé ologiques en plusieurs groupes qui se retrouvent dans des langues diffé rentes. En effet, les locutions phrasé ologiques se laissent assez nettement ré partir en quelques types selon le degré de cohé sion sé mantique de leurs composants.

STRUCTURATION SÉ MANTIQUE ET FORMELLE DU VOCABULAIRE DU

FRANÇ AIS MODERNE


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